DIGITALISATION DES PME EN AFRIQUE : DE LA MODE À LA NÉCESSITÉ STRATÉGIQUE

Alors que les économies mondiales accélèrent leur transformation numérique, la digitalisation des PME africaines apparaît désormais comme une condition de survie, bien plus qu’un simple levier d’innovation.

Face à une concurrence de plus en plus agile, à un consommateur plus connecté que jamais et à des marchés globalisés, les petites et moyennes entreprises (PME) africaines ne peuvent plus se permettre de rester en marge de la révolution numérique. Loin d’être un luxe réservé aux grandes entreprises, la digitalisation des PME africaines s’impose comme une stratégie vitale, progressive, accessible et profondément transformatrice.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon la Banque africaine de développement (BAD), les PME représentent plus de 90 % du tissu économique africain et assurent environ 80 % des emplois sur le continent. Pourtant, leur taux de survie reste faible : près de 70 % échouent avant leur cinquième année, notamment en raison d’un accès limité à l’innovation et à la technologie.

Le rapport 2023 de la GSMA (Groupe spécial mobile association) souligne que si plus de 475 millions d’Africains utilisent internet, seulement 22 % des PME africaines ont une présence en ligne active, contre 64 % en Asie et 71 % en Europe. Ce décalage technologique freine leur croissance, leur visibilité et leur compétitivité.

L’exemple des autres continents : la digitalisation comme catalyseur de croissance

En Asie du Sud-Est, des pays comme l’Indonésie et le Vietnam ont démontré qu’une stratégie numérique inclusive pouvait transformer le tissu entrepreneurial. Grâce à des plateformes comme Tokopedia ou Zalo, des milliers de PME ont pu accéder à de nouveaux marchés, automatiser leurs processus et augmenter leur chiffre d’affaires. 

En Indonésie, les micro, petites et moyennes entreprises représentent près de 99 % des entreprises et contribuent à 60 % du PIB national*. La digitalisation de ce tissu entrepreneurial a permis de créer plusieurs millions d’emplois locaux, avec une estimation de 3,7 millions d’emplois attendus d’ici fin 2025* grâce à l’économie numérique.

En Amérique latine, l’application Rappi en Colombie a permis à de petites structures de livraison ou de restauration de digitaliser leur offre et d’intégrer un écosystème numérique. En moins de 18 mois, elles ont vu leur clientèle croître de plus de 40 %, avec à la clé la création de milliers d’emplois dans les services de logistique urbaine.

Certaines entreprises africaines ont déjà compris le potentiel du numérique. La start-up Flutterwave au Nigéria a permis à des milliers de PME de se doter de solutions de paiement en ligne, stimulant ainsi leurs ventes locales et internationales. Au Kenya, l’application Sokowatch, rebaptisée Wasoko, digitalise la distribution de produits de consommation pour les petits commerçants. Plus largement, d’après un rapport publié par l’OIT en 2024, l’essor des plateformes numériques dans le pays du ride-hailing à l’e-commerce a permis de créer environ 36 573 emplois directs en 2019*, notamment dans les secteurs de la livraison, du transport et des services à la demande. 

digitalisation des PME africaines

Le nombre de plateformes numériques recensées dans le pays est passé de 11 en 2015 à 42 en 2022, signe d’une croissance soutenue du secteur. Selon les données du Kenya Private Sector Alliance (KEPSA), la population active impliquée dans l’économie numérique est passée de 638 400 personnes en 2019 à plus de 2,4 millions en 2023*. Cette dynamique devrait se renforcer au cours des prochaines années. 

Un autre rapport publié par la TASC Platform, en partenariat avec le Forum économique mondial, indique également que le pays comptera bientôt 1,9 million de travailleurs dans l’économie digitale, dont 1,2 million dans l’économie des plateformes, pour une contribution estimée à 9,24 % du PIB national d’ici fin 2025*.

Le rôle des gouvernements : catalyseurs indispensables de la digitalisation des PME africaines

Si la digitalisation des PME africaines repose en grande partie sur leur capacité d’adaptation, les gouvernements jouent un rôle décisif pour créer un écosystème favorable, équitable et durable. Plusieurs pays africains commencent à poser des jalons encourageants.

Au Rwanda, l’État a mis en place la stratégie “Smart Rwanda”, qui fait du numérique un pilier du développement national. Des formations en ligne pour entrepreneurs, des centres d’innovation accessibles et des infrastructures digitales de base ont permis d’accélérer l’adoption du numérique, même dans les zones rurales.

En Côte d’Ivoire, le gouvernement a lancé un Programme de transformation digitale des PME, qui facilite l’accès à des kits numériques subventionnés, des crédits bonifiés pour l’achat d’équipements, et des partenariats avec des incubateurs pour renforcer les compétences digitales.

Au Ghana, le National Entrepreneurship and Innovation Programme (NEIP) soutient l’intégration de solutions technologiques dans les projets portés par les jeunes entrepreneurs, avec un accent sur l’e-commerce, les services mobiles et la gestion numérique.

Mais pour que ces initiatives se généralisent, il est nécessaire de dépasser les approches ponctuelles. Dans de nombreux pays africains, les PME restent freinées par un coût élevé de la connectivité, des politiques fiscales peu incitatives, et un manque d’infrastructures numériques adaptées. Un engagement politique clair, coordonné et de long terme est essentiel pour transformer ces initiatives en leviers de compétitivité à grande échelle.

Digitalisation des PME africaines : Des exemples internationaux qui montrent la voie

digitalisation des PME africaines

Dans d’autres régions du monde, les gouvernements ont démontré comment une stratégie numérique ambitieuse peut profondément transformer le tissu entrepreneurial.

En Estonie, un des pays les plus digitalisés au monde, 99 % des services publics sont accessibles en ligne. Les PME peuvent être créées en quelques minutes, gérer leur fiscalité ou signer des contrats sans se déplacer. Cette politique, portée par une vision d’État depuis plus de 20 ans, a donné naissance à un écosystème technologique florissant avec des start-up mondialement connues comme Bolt ou TransferWise.

Au Canada, le programme Digital Main Street a permis à plus de 30 000 petites entreprises, notamment dans le commerce de proximité, de passer au numérique. Il propose des diagnostics digitaux, des subventions, des outils pratiques et un accompagnement personnalisé, en partenariat avec les collectivités locales.

Ces exemples montrent qu’une volonté politique affirmée, accompagnée d’investissements ciblés, peut profondément renforcer la résilience, la compétitivité et la capacité d’innovation des PME, même dans des contextes économiques initialement modestes.

La digitalisation des PME en Afrique ne relève plus du choix, mais d’une urgence stratégique. Elle est un vecteur de résilience, un accélérateur de croissance et un passeport pour les marchés globaux. Digitaliser ne signifie pas nécessairement la mise en place de systèmes complexes ou coûteux. Elle peut commencer par des actions simples.  

L’enjeu est de penser progressivité et pertinence. Il ne s’agit pas de digitaliser pour suivre une tendance, mais d’identifier les outils adaptés à son modèle d’affaires. Les gouvernements, les incubateurs et les partenaires techniques doivent accompagner cette transition en proposant des solutions adaptées, accessibles et concrètes.

Takeaway 

  1. La digitalisation n’est plus une option pour les PME africaines : elle conditionne désormais leur survie, leur compétitivité et leur accès aux marchés.
  2. La digitalisation peut se faire progressivement, avec des outils simples, accessibles et adaptés à chaque étape de développement.
  3. L’engagement des gouvernements est indispensable pour créer un environnement numérique favorable : infrastructures, formations, incitations fiscales, etc.
  4. La collaboration entre secteurs public, privé et acteurs locaux est importante pour assurer un déploiement réussi et inclusif de la digitalisation des PME africaines.

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