CAPITAL HUMAIN : L’ARME CACHÉE DE LA COMPÉTITIVITÉ AFRICAINE

Pendant longtemps, les débats sur la compétitivité africaine ont tourné autour des infrastructures, du climat des affaires ou du commerce. Pourtant, un facteur important reste sous-estimé, sous-valorisé, parfois invisible dans les stratégies nationales, celui du capital humain. Et c’est bien là que se joue une part décisive de l’avenir économique du continent.

L’Afrique est le continent le plus jeune du monde. Plus de 60 % de sa population a moins de 25 ans. Cette jeunesse, dynamique et connectée, pourrait représenter un avantage stratégique dans une économie mondiale vieillissante. Mais dans les faits, elle reste sous-formée, sous-utilisée et sous-payée.

Des millions de jeunes sortent chaque année du système éducatif sans compétences directement exploitables sur le marché du travail. Le lien entre l’école et l’entreprise est souvent rompu, et les systèmes de formation professionnelle peinent à répondre aux besoins réels des économies locales. Résultat : un continent riche en talents potentiels, mais pauvre en compétences valorisées. 

Selon le rapport 2023 du Human Capital Index de la Banque mondiale, l’Afrique subsaharienne ne réalise que 40 % de son potentiel en capital humain, contre 70 % en Asie de l’Est et 75 % en Europe de l’Ouest. Cela signifie qu’un enfant africain né aujourd’hui n’atteindra que 4/10 de sa productivité potentielle à l’âge adulte, si les conditions actuelles d’éducation et de santé perdurent.

Former les talents africains : une priorité absolue

Capital humain

Le chantier de la formation des talents africains est à la fois urgent et stratégique. Il ne s’agit pas seulement d’augmenter le nombre d’écoles ou de diplômés, mais de repenser en profondeur les contenus pédagogiques, les méthodes d’apprentissage et les finalités de la formation.

Cela passe par un renforcement ambitieux des filières techniques et professionnelles, qui doivent être modernisées et alignées sur les besoins des économies locales, qu’il s’agisse d’agro-industrie, de numérique, d’énergie, de santé ou encore de logistique. Il est également indispensable de rétablir un lien solide entre la formation et l’emploi, en généralisant les dispositifs de stage, d’alternance, d’apprentissage ou de mentorat.

La formation doit aussi aller au-delà des compétences techniques. Elle doit intégrer des dimensions transversales comme la communication, la gestion du temps, le leadership, la créativité, le sens des responsabilités ou encore la capacité à travailler en équipe. Ces compétences humaines, dites « soft skills », sont devenues incontournables dans un environnement professionnel exigeant.

La structuration d’une politique de formation efficace suppose des partenariats solides entre les États, le secteur privé et les centres de formation. Ce n’est qu’en travaillant ensemble, avec une vision partagée, qu’il sera possible de faire de la formation un levier réel de transformation économique sur le continent.

C’est dans cette optique, faire du capital humain un levier stratégique du développement économique, que j’ai pris part à la 12e édition des Journées Nationales des Ressources Humaines (JNRH 2025), les 10 et 11 juillet 2025 à Yamoussoukro. L’évènement, devenu au fil des années, incontournable pour les professionnels africains des RH, du management et de la formation, a réuni des centaines de participants venus de tout le continent autour du thème central : « Capital humain et souveraineté économique ». 

Des panels, ateliers et partages d’expériences ont mis en lumière les défis, mais aussi les initiatives locales qui placent l’humain au cœur de la transformation des entreprises et des États africains. La 12e édition des JNRH a également permis de faire émerger des idées fortes, notamment la nécessité de créer des écosystèmes RH performants, l’importance d’une culture managériale adaptée aux réalités africaines, et l’urgence de valoriser les talents locaux pour bâtir une souveraineté économique durable.

Ceux qui gagnent la bataille économique investissent dans leurs talents

Capital humain

La Corée du Sud, à la fin des années 1960, était encore un pays à faible revenu. C’est par une stratégie massive d’investissement dans l’éducation, la formation continue et la recherche que le pays a changé de trajectoire. La montée en puissance de ses entreprises est indissociable de cette politique de formation du capital humain. 

Entre 1970 et 1990, les dépenses sud-coréennes en éducation sont passées de 2,8 % à plus de 7 % du PIB. Résultat : un taux d’alphabétisation de plus de 98 % et un positionnement parmi les 15 économies les plus innovantes au monde (selon le Global Innovation Index 2023).

En Europe, l’Allemagne a développé un système de formation en alternance particulièrement efficace. Il repose sur l’implication active des entreprises dans la formation des jeunes, ce qui permet de maintenir un haut niveau de productivité avec une réduction très significative du chômage des jeunes. Le taux de chômage des jeunes en Allemagne est l’un des plus bas d’Europe (5,8 % en 2023), largement grâce à son système dual. Près de 50 % des jeunes Allemands suivent une formation en alternance, en lien direct avec les entreprises.

Plus près du continent, le Rwanda s’est illustré par sa capacité à intégrer l’éducation et le numérique au cœur de sa stratégie de développement. Le Maroc, quant à lui, a développé des dispositifs de formation spécifiques autour de ses filières industrielles stratégiques, notamment dans l’automobile, l’aéronautique et les énergies renouvelables. Grâce à sa stratégie de formation sectorielle, le Maroc a multiplié par 3 ses exportations automobiles en moins de dix ans, avec 220 000 emplois créés dans le secteur, selon l’AMICA (Association Marocaine pour l’Industrie et la Construction Automobile).

Tous ces exemples montrent que le capital humain est une ressource stratégique, que les pays les plus compétitifs prennent soin de cultiver avec rigueur et méthode. Valoriser le capital humain ne signifie pas uniquement augmenter le nombre de diplômés. Cela exige de former à l’adaptabilité, à la résolution de problèmes, à la prise d’initiative. Dans une économie de la connaissance et du changement rapide, les compétences humaines sont aussi importantes que les savoirs techniques.

La compétitivité d’un pays ne dépend plus seulement de ses ressources naturelles ou de ses infrastructures. Elle repose sur la capacité des hommes et des femmes à apprendre, à innover, à créer de la valeur. L’Afrique regorge de talents capables de répondre à ces défis. Encore faut-il leur offrir des cadres d’expression, des perspectives de croissance et une reconnaissance à la hauteur de leur potentiel.

Il devient donc urgent de considérer le capital humain comme un actif stratégique à part entière. Les politiques publiques doivent reposer sur une approche intégrée de la formation, de la santé, de la gouvernance du travail et de l’accompagnement professionnel. Les États doivent mettre en œuvre des réformes structurelles ambitieuses pour améliorer la qualité de la formation initiale et continue, pour aligner les compétences sur les besoins du marché, et pour renforcer les passerelles entre école, entreprise et innovation.

De leur côté, les entreprises africaines, en particulier les PME, doivent faire évoluer leur rapport au capital humain. Ils ne doivent plus se focaliser uniquement sur le recrutement. Il faut former, fidéliser, faire grandir. La gestion des talents, la transmission des savoir-faire, la reconnaissance des compétences doivent devenir des priorités internes.

C’est aussi le message que j’ai porté lors de mon intervention à Yamoussoukro : faire de la fonction RH un levier stratégique, non plus administratif, et bâtir des organisations apprenantes, résilientes et orientées vers l’avenir. Car c’est à cette condition que les talents africains pourront exprimer pleinement leur potentiel et contribuer à une Afrique plus compétitive, plus inclusive, et plus souveraine.

Ce qu’il faut retenir

  • Pour bâtir une économie réellement compétitive, l’Afrique doit placer le capital humain au cœur de toutes ses stratégies de développement.
  • Former les talents africains passe par une refonte des systèmes de formation, un lien plus fort avec les entreprises, et une attention aux compétences transversales et aux conditions d’épanouissement professionnel.
  • Les pays qui investissent durablement dans leurs talents, à l’exemple de la Corée du Sud ou l’Allemagne, ont démontré que cette stratégie paie, en productivité et en stabilité économique.
  • Des initiatives comme les JNRH 2025 sont la preuve qu’un nouvel élan est en marche sur le continent, porté par des acteurs convaincus que l’avenir économique de l’Afrique passera par ses femmes et ses hommes, bien formés, bien accompagnés, et pleinement engagés.

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