La cybersécurité n’est plus un sujet technique réservé aux spécialistes ou aux grandes entreprises. Depuis quelques années, elle est devenue une priorité stratégique, au cœur des équilibres économiques, sociaux et politiques. Alors que l’Afrique accélère sa transformation numérique, administrations digitalisées, services bancaires en ligne, commerce électronique, plateformes de santé ou d’éducation, les vulnérabilités du cyberespace s’amplifient et exposent des systèmes encore peu préparés aux menaces invisibles, mais bien réelles.
Le continent africain connaît une croissance rapide de sa connectivité. En 2023, on comptait plus de 570 millions d’internautes africains, et cette dynamique est appelée à s’intensifier avec l’expansion des smartphones, du cloud et de l’intelligence artificielle. Mais cette digitalisation accélérée ne s’accompagne pas toujours d’un renforcement équivalent des systèmes de protection.
Résultat, les cyberattaques se multiplient. Fraude bancaire, ransomwares, vols de données, attaques sur les infrastructures publiques… Les exemples se multiplient dans plusieurs pays. En Afrique du Sud, le ministère de la Justice a été paralysé par un ransomware en 2021. Au Kenya, le secteur bancaire subit régulièrement des tentatives de piratage. Selon Interpol, plus de 90 % des entreprises africaines n’ont pas mis en place de dispositifs de cybersécurité suffisants.
Les attaques ne se contentent pas de perturber des systèmes. Elles peuvent coûter très cher. Selon la Banque africaine de développement (BAD), le coût de la cybercriminalité en Afrique dépasserait les 4 milliards de dollars par an, entre pertes économiques, vols d’identité, interruption d’activité et atteintes à la réputation.
Mais au-delà de la sphère économique, la cybersécurité touche à la souveraineté. La désinformation en ligne, les manipulations électorales, les piratages de bases de données gouvernementales représentent une menace directe pour la stabilité des États. À l’heure des conflits hybrides et des ingérences numériques, la maîtrise de l’espace cyber est aussi une question de sécurité nationale.
L’Afrique face à un double impératif : régulation et formation

Face à ces défis, la réponse ne peut être uniquement technique. Elle doit être globale, coordonnée et prospective. Plusieurs pays africains ont commencé à structurer leur cadre juridique. Le Congo, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Maroc ou encore le Rwanda ont adopté des stratégies nationales de cybersécurité. L’Union africaine, de son côté, a posé un cadre avec la Convention de Malabo sur la cybersécurité et la protection des données personnelles.
Mais ces avancées doivent s’accompagner d’un investissement massif dans le capital humain. Le continent manque cruellement d’experts en cybersécurité, d’ingénieurs spécialisés, de professionnels capables de prévenir, détecter et répondre aux incidents. Dans certains pays, on compte moins de 100 experts certifiés pour des millions d’internautes. Il devient donc urgent de former des milliers de spécialistes, d’intégrer la cybersécurité dans les cursus d’ingénierie, de management, d’administration publique, et de soutenir les start-up locales qui développent des solutions adaptées au contexte africain.
Il est temps que les gouvernements africains prennent pleinement la mesure de l’enjeu. La cybersécurité ne peut plus être reléguée à un simple sujet technique ou périphérique. Elle doit devenir un pilier des politiques publiques, au même titre que l’énergie ou l’éducation. Protéger les infrastructures critiques, garantir la souveraineté des données, encadrer l’usage des technologies émergentes comme l’intelligence artificielle : autant de priorités pour asseoir un développement numérique sûr et durable.
De leur côté, les entreprises, télécoms, banques, assureurs, opérateurs publics et privés, ont une responsabilité directe. Investir dans la sécurisation des données, former leur personnel, auditer régulièrement leurs systèmes, contribuer au financement de la filière… Ce n’est plus une option. C’est une obligation stratégique pour préserver la confiance de leurs clients et la continuité de leur activité.
Repenser les approches : l’enseignement du Cyber Africa Forum 2025
C’est dans cette perspective que s’inscrivait le Cyber Africa Forum (CAF) 2025, auquel j’ai eu l’honneur de participer les 24 et 25 juin 2025. Placée sous le thème « Résilience des écosystèmes numériques : de la nécessité de changer de paradigme », cette édition a rappelé que nos approches actuelles ne suffisent plus.
Il faut désormais repenser nos infrastructures, nos politiques, nos systèmes de formation et nos alliances, pour construire un espace numérique africain robuste, inclusif et souverain.
Le CAF 2025 a mis en lumière des solutions concrètes, des innovations locales, des modèles de coopération à renforcer. Il a aussi lancé un appel : l’heure n’est plus aux diagnostics. Elle est à l’action.
Takeaway : Ce qu’il faut retenir
- La cybersécurité est un enjeu stratégique pour l’Afrique, à la fois économique, politique et sécuritaire.
- Le continent est fortement exposé, mais encore peu préparé : plus de 90 % des entreprises manquent de dispositifs adaptés.
- Le coût de la cybercriminalité dépasse 4 milliards USD par an, affectant gravement la compétitivité économique, la confiance des investisseurs et la stabilité des États.
- Le développement du capital humain est crucial : l’Afrique doit former massivement des talents en cybersécurité, alliant expertise technique, éthique et compréhension des enjeux locaux.
- Des réponses et plateformes à l’échelle continentale sont nécessaires : mutualisation des moyens, partage d’informations, normes communes et coopération transfrontalière renforceront la souveraineté numérique.
- Les partenariats public-privé (PPP) sont indispensables pour financer les infrastructures, accélérer l’innovation et structurer un écosystème de cybersécurité africain robuste et durable.
- Changer de paradigme est urgent : il faut sortir de la logique de réaction pour bâtir des écosystèmes numériques résilients, souverains et adaptés aux réalités africaines.